Crédit immobilier : les foyers qui ne peuvent plus emprunter

Près de 220.000 ménages qui étaient en mesure d'obtenir un prêt immobilier en 2021 verraient aujourd'hui leur dossier retoqué par les banques, selon une étude du courtier Pretto. Quel est leur profil ? Au-delà de l'inexorable remontée des taux, comment expliquer ce phénomène ?

Les courtiers n'en démordent pas. Face à la nouvelle donne en matière de crédit immobilier, les ménages sont de plus en plus nombreux à être exclus des circuits de financement bancaire pour leur projet immobilier. Si à ce stade le marché immobilier reste plutôt dynamique, les alertes se multiplient dans les rangs des professionnels qui constatent un resserrement du robinet du crédit à l'habitat, une thèse contestée par la Banque de France.

Pour tenter d'enfoncer le clou, le courtier en ligne Pretto estime, chiffres à l'appui, que 220.000 dossiers financés en 2021, ne pourraient plus obtenir de crédit aujourd'hui au vu des conditions de marché dégradées. Les emprunteurs sont pris « en tenaille entre le mouvement inédit de hausse des taux et les fortes contraintes réglementaires » s'imposant déjà depuis plusieurs années aux ménages, constate la fintech.

En réétudiant les dossiers pour lesquels Pretto avait obtenu un accord des banques en 2021, le courtier arrive aux conclusions suivantes : 18 % des dossiers financés en 2021, au taux moyen de 1,1 % sur 20 ans, seraient recalés dans le contexte de marché de juin 2022, le taux d'emprunt atteignant désormais 1,6 %. Cette proportion de dossier ne passant plus les fourches caudines des banques grimpe à 30 % pour les ménages ayant un revenu mensuel inférieur à 3.000 €, alors qu'elle se limite à 13 % pour les ménages touchant plus de 5.000 € par mois.

Dans le détail, sur une base de 1,2 million de transactions traitées par Pretto l'an dernier, près de 60.000 dossiers n'auraient pas pu obtenir de financement en raison du plafond du taux d'usure, ce taux maximum auquel les banques peuvent prêter. Près de 160.000 dossiers supplémentaires seraient aussi mis de côté, cette fois-ci en raison du taux d'endettement maximum de 35 % autorisé par le Haut conseil de stabilité financière (HCSF).

Parmi les dossiers mis hors jeu par le taux d'endettement, une solution de financement pourrait toutefois être trouvée pour environ la moitié d'entre, soit en allongeant la durée du crédit soit en augmentant son apport personnel, nuance Pretto. Malgré ces roues de secours, la crise économique et l'inflation pèsent sur le pouvoir d'achat des Français et limite leur capacité à s'endetter.


Effet retard : rendez-vous à la rentrée
« Les autorités ne constatent pas encore ce phénomène d'éviction. Leurs statistiques se basent sur les derniers prêts débloqués », insiste Pierre Chapon fondateur de Pretto. Selon lui, les chiffres officiels de production de crédit correspondent à des prêts qui ont été négociés au premier trimestre, lorsque les conditions d'emprunt étaient nettement plus favorables.

« Les données de production de crédit ont structurellement de 3 à 6 mois de retard sur la prise en charge des projets », affirme ainsi le courtier. Il estime que la tendance sera plus lisible à la rentrée de septembre. « L'éviction est ciblée sur les ménages les plus modestes. La production de crédit se déplace vers les ménages les plus aisés qui bénéficient des taux les plus bas », regrette Pierre Chapon.

Des emprunteurs « complètement solvables » sont mis sur la touche, juge Pierre Chapon. Citant des cas concrets, le courtier donne l'exemple d'un couple d'emprunteurs, âgés de 43 et 44 ans résidant dans l'Essonne aux revenus nets de 4.003 € par mois. Alors qu'il pouvait encore emprunter l'an dernier pour acquérir sa résidence principale, il serait désormais exclu en raison du taux d'usure.

Même cause même effets, pour une femme célibataire de 29 ans qui gagne 1.691 € par mois et domiciliée en Meurthe-et-Moselle. Cela ne passerait pas non plus pour un homme célibataire de 29 ans malgré ses 4.173 € de revenus mensuels. Cette fois-ci, son projet d'investissement locatif serait bloqué en raison du taux d'endettement maximum de 35 %.

Poursuite de la hausse des taux
Malgré la hausse exceptionnelle du taux d'usure au 1er juillet , censée redonner une bouffée d'oxygène aux emprunteurs, le phénomène d'exclusion des ménages les plus fragiles va persister selon Pretto. Il est appelé à se maintenir jusqu'à la stabilisation des taux, ce qui n'est pas pour demain, prédit le courtier.

Pretto plaide ainsi pour une modification de la formule de calcul du taux d'usure. Il propose qu'il soit calculé de manière mensuelle et non pas tous les trois mois. Ce taux est calculé à partir des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit, augmentés d'un tiers.

Les taux immobiliers ont augmenté de 0,6 point entre janvier 2022 et juin 2022 d'après le baromètre des taux compilés par Pretto. « Il faut remonter à fin 1999, début 2000 pour observer une augmentation aussi importante en l'espace de quelques mois à une époque où les taux se situaient à 5-6 % : la poussée que connaît le marché actuellement est donc près de 5 fois plus forte en relatif », indique le courtier.

Les hausses de taux se poursuivent à la lecture des baromètres envoyés par les banques avec de plus en plus de taux proposés à plus de 2 % sur 20 ans, confirme de son côté le courtier Vousfinancer. Depuis le début de l'année, la hausse atteint près de 1 point dans certaines banques, contraintes de remonter leurs taux dans ce contexte d'augmentation des conditions de refinancement pour les banques.

En tablant sur la poursuite de la hausse des taux, Pretto considère que la capacité d'emprunt moyen des ménages devrait reculer en volume de 12 % d'ici à la fin de l'année.

 
Source :Les Echos